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No kill or Not no kill

Gilbert Marc • mars 03, 2023

Tuer ou ne pas tuer ? Voilà la question !


Quelle médiocre parodie de Shakespeare, et de ce brave Hamlet, pour parler d’un sujet, qui reconnaissons le anime beaucoup les discussions entre pêcheurs « de loisirs ».

 Quand j’utilise le terme de pêcheurs de loisirs, c’est pour les mettre en alternative avec les pêcheurs professionnels. Je n’emploie pas le terme de pêcheur amateur, car certains d’entre eux, bien que non-inscrits au registre des métiers sont de véritables professionnels. Par définition un pêcheur professionnel ne se pose pas la question de tuer ou ne pas tuer le poisson qu’il pêche puisque c’est son gagne-pain ! Par contre dans l’exercice de sa profession il est tenu de respecter des règles qui sont la remise à l’eau des poissons trop petits (pour certaines espèces)..


Je voudrais ici non pas enfoncer des portes ouvertes, mais plutôt essayer de faire réfléchir les pratiquants de la pêche de loisir. Je n’ai en dehors de mon âge et de ma pratique de la pêche depuis 50 ans, aucune compétence universitaire ou académique, pour parler d’un sujet qui par certains aspects est un peu scientifique. Mais je suis de formation scientifique et je sais lire et chercher ce qui a déjà été publié sur ce sujet, et je vais essayer de vous en faire une synthèse.


Donc un peu d’histoire. Au commencement la pêche est un acte de prédation. Nous sommes dans les temps préhistoriques et les humains de l’époque sont des chasseurs cueilleurs. Avant d’évoluer et de devenir des agriculteurs éleveurs, pour assurer leur subsistance, et permettre l’accroissement progressif de la population. Il est d’ailleurs intéressant de voir que même lorsque l’agriculture et l’élevage se développèrent, la pêche et la chasse continuèrent à se pratiquer et cela dans un but purement alimentaire.

La pêche dite de loisir n’est vraiment apparue dans les différentes civilisations que j’ai pu étudier, qu’à partir du moment où la subsistance de base était facilement accessible, par la quasitotalité de la population. Les premiers traités de pêche écrits en Europe Occidentale à la fin du Moyen Âge, sont écrits pour transmettre et enseigner les différentes manières de prendre du poisson et bien sûr pour le manger, non pour une alimentation quotidienne, mais plutôt pour une occasion festive exceptionnelle. Ayant lu et relu Isaac Walton, je n’ai trouvé nulle part la notion de graciation, de catch and realease, de no kill, ou de remise à l’eau. Un poisson pris doit être tué et mangé. Cependant dans un autre bouquin ancien français il est conseillé de ne pas manger son blé en herbe et de remettre à l’eau des poissons trop petits ou impropres à la consommation. Il s'agissait au départ de remettre à l'eau les poissons jugés trop petits, ou légalement trop petits (quand des réglementations ont commencé à être instituées pour éviter de surexploiter la ressource halieutique en tuant les poissons juvéniles avant même qu'ils n'aient pu se reproduire).


La méthode de « capture et relâcher » a donc d'abord été une méthode de gestion des ressources halieutiques et de la pêche de loisir.

Mais cela n’est pas historiquement important, car ce n’est que beaucoup plus tard, dans l’histoire de la pêche que la notion de pêcher sans tuer est apparue. Le premier parc national américain qui imposa un no kill absolu à partir de 1954 était le Parc national des Great Smoky Mountains. Trente ans plus tard, la plupart des États et provinces d'Amérique du Nord avaient développé de tels programmes (généralement pour la truite et le blackbass dans un premier temps), et qui parfois s'appliquaient sélectivement en fonction du contexte (productivité de l'environnement, de la longévité des poissons en question).

Les autorités concernées avaient une exigence de strict respect de ces règlements spéciaux par les pêcheurs là où cette méthode nouvelle était mise en œuvre. Ces autorités ont naturellement pensé que les pêcheurs accepteraient mieux ces nouvelles réglementations là où elles étaient imposées si des experts apportaient des preuves biologiques manifestes de l’efficacité du no-kill en termes de préservation ou restauration des ressources halieutiques.

Elles ont donc financé un certain nombre d'études pour évaluer les effets du no-kill. Peu à peu, en raison du recul de nombreuses espèces marines, le no-kill s'est aussi développé chez certains pêcheurs sportifs en mer. Et ce n’était pas seulement une mesure de protection des populations de truites, mais plutôt une manière d’éducation en faisant passer le message qu’il était meilleur de ne plus tuer et manger les poissons pris.


Un autre exemple de ce mode de législation, est la règle au Québec pour la pêche du saumon. Sur les rivières les plus célèbres de Gaspésie ou de l’île d’Anticosti, la loi vous oblige à cesser de pêcher après avoir pris deux poissons, que vous ayez décidé de les tuer ou de les remettre à l’eau ! Mais cette règle est simplement destinée à préserver d’une part la ressource, mais surtout à permettre aux autres pêcheurs de pouvoir pêcher après vous.


 La réglementation est faite pour gérer et contrôler les activités humaines et sociales. Le fait de partir pêcher en sachant que même si vous prenez cent poissons vous n’en tuerez aucun est totalement différent d’une réglementation ! C’est une philosophie et même une règle de vie !

Je vais essayer de vous faire réfléchir sur ce point. La pêche moderne de loisir est devenue petit à petit une activité sportive, si l’on veut bien considérer le mot sport, comme une activité physique ou intellectuelle, avec une réglementation qui varie selon les pays, et qui peut donner lieu à des compétitions. Mais certains vous diront que c’est un aussi art, ou en tout cas un art de vivre.

 Je crois pour ma part qu’il n’y a pas de dogme dans ce monde, il y a autant de pêches que de pêcheurs. Car chacun d’entre nous va à la pêche, pour des raisons qui lui sont propres et personnelles, et qui sont toutes très respectables.


Soyons clairs la plupart des pêcheurs vont à la pêche pour attraper des poissons. Et une grande majorité d’entre eux sont très fiers de pouvoir partager à table, en famille ou avec des amis, avec le produit de la pêche quand le poisson est bon à manger.

Et c’est quelque chose de très important à comprendre. Le no kill est beaucoup plus évident, quand vous avez pris cinquante chevesnes dans un joli courant de la basse Durance, que quand vous avez réussi à ferrer un saumon du gave d’Oloron. Heureusement la pollution chronique des grands fleuves permet de ne plus avoir d’état d’âme pour la remise à l’eau, les poissons pris étant aux mieux immangeables, et au pire toxiques et impropres à la consommation ! Nous en parlerons un peu plus loin. Nous voyons le même phénomène avec les carpistes qui à ma connaissance, pour la plupart, ne sont pas consommateurs de leurs prises. Je pense que c’est probablement la même chose avec les pêcheurs de silures, qui me paraissent remettre systématiquement à l’eau toutes leurs prises. Mais qui n’hésitent pas à tuer un gros chevesne pour le présenter comme un appât !

Quant aux pêcheurs au coup, je vois partout qu’ils ne font plus d’une bonne friture de gardons une gloire gastronomique, et relâchent maintenant leurs poissons .


Le no kill ne se pose donc que pour une toute petite partie de la pêche de loisirs, les salmonidés et les carnassiers comme le brochet la perche et le sandre. Et encore une fois je ne parle pas ici de remettre à l’eau les poissons trop petits parce que c’est la loi, ou limiter son nombre de prises, pour un plan de gestion de bassin versant.

Le no kill dont je vous parle, c’est un acte de foi ! Je pars pêcher pour pêcher, et non pas pour tuer des poissons, ni pour remplir mon congélateur !

 Quel que soit le mode de pêche que je pratique, et quel que soit le poisson que je pêche !

En écrivant ceci je ne cherche à convaincre personne, je décris simplement ce que pour moi je crois être le prendre et relâcher. En plus en m’imposant tout seul cette règle, j’essaye de respecter les poissons quand je les relâche, et j’essaye également de respecter les milieux naturels dans lesquels je me déplace quand je suis à la pêche.

Et bien sûr en bon citoyen je respecte les règles et la législation de la pêche.

Ayant écrit cela, je dois rajouter ceci, le no kill ne doit pas être bien sùr, un facteur de risque de mortalité, donc je vais pêcher avec des méthodes qui autant que possible, n’abîmeront pas trop le poisson (hameçon simple sans ardillon), et également des techniques qui permettent de limiter au maximum la durée du combat ( pas de fil de diamètre inférieur au 14 centièmes).

Mais en même temps je suis conscient que cette pratique peut être considérée comme un acte de cruauté envers un animal sauvage vivant dans un milieu naturel. J’en suis conscient et je comprends ce que disent certaines personnes encore plus radicales, puisqu’elles prônent un no kill total qui est l’interdiction de la pêche de loisirs!...

En Allemagne et en Suisse dans certains cantons le no kill est interdit !

Les pollutions aux PCB servent la cause du no-kill. Les pêcheurs ne doivent cependant pas oublier que l’étape suivante, si on applique la réglementation suisse ou allemande, interdit tout simplement la pratique de la pêche dans les rivières polluées au PCB. Et c’est ce qui se passe dans ces deux pays limitrophes…


 Et c’est là que je veux vous amener à bien réfléchir !


La pratique systématique de la remise à l’eau des poissons et des salmonidés en particulier est une pratique respectable et individuelle (comme une religion), mais nous sommes dans un pays laïc, et donc cette pratique ne doit en aucun cas être imposée à l’ensemble des pêcheurs. Pour rester dans le domaine religieux ce serait une hérésie de continuer à pêcher et manger de temps à autres une truite ou un brochet !


Les adversaires de la pêche sont actuellement nombreux et pour des raisons quasi dogmatiques vont encore plus loin (que nous aurions pu l’imaginer quand nous étions jeunes) « Demander à interdire la pratique de la pêche ! ».


Mais pourquoi ? Pour préserver la ressource ? Croire que la pêche de loisir réduit le nombre des poissons est à la fois une réalité et une erreur.

 Une réalité parce que si les mille pêcheurs de la basse vallée de la Loue pêchent et tuent chacun dix poissons par an et bien dans une saison de pêche cela fait 10 000 poissons de moins dans la rivière.

Et savez-vous combien de journées de pêche sont vendues sur des parcours privés d’Autriche ou de Slovénie chaque année? Entre 1500 et 2000 ! Si chaque pêcheur tue les 3 truites autorisées par la réglementation ce sera 4500 truites au minimum qui seront enlevées à la rivière. Donc les chiffres sont réels !

Mais c’est une erreur de croire que seuls les pécheurs sont responsables du dépeuplement des rivières....

Nous parlerons de ce qui est comparable et je vais toujours vous parler de ces fameux parcours autrichiens ou slovènes. Devant la baisse dramatique de la population d’ombres communs, la société de pêche de la Steyr en Basse Autriche décide d’interdire la pêche de l’ombre pendant cinq ans, avant de se rendre compte que les populations ne s’étaient pas reconstituées pour une bonne et simple raison qui n’avait rien à voir avec les pêcheurs humains. Le nombre de cormorans vivant en aval sur le lac de barrage était passé de trois colonies de 10 oiseaux en moyenne à soixante ! Dès que les tirs de régulation ont été mis en place, les ombres sont revenus !

 Je vous épargnerais ici les différentes pollutions causes de la diminution de la capacité biogénique des cours d’eaux, qui sont totalement sans relation avec la pratique de la pêche de loisir.

Tout cela pour dire qu’il n’est pas simple de savoir comment faire pour maintenir un niveau correct des populations de salmonidés dans une rivière de 1ere catégorie, ou de brochets en 2ème catégorie.

 Je reste même persuadé que la nature est capable largement de produire suffisamment de poissons dans des conditions normales d’équilibre biologique et écologique, et que par conséquent il est normal que certains pêcheurs ( ceux qui le souhaitent), puissent prélever des truites ou des ombres.

 Autre réflexion simpliste lorsque l’on est un gestionnaire de rivières il est capital de savoir combien de poissons sont prélevés pour savoir si la capacité biogénique de la rivière est en capacité de supporter ce prélèvement, et je préfère de beaucoup que les pêcheurs déclarent leurs prélèvements plutôt que de pratiquer « en cachette » un prélèvement qui parait presque pour rester dans le domaine religieux un sacrilège !

Je terminerais par une évidence. Pour le pêcheur maladroit le no kill est une bénédiction, car il permet de pouvoir mentir facilement sans argumenter sur des casses ou des décrochages mal venus.

 La première fois où j’ai pêché le Doubs à Goumois en 1975, les truites prises et exhibées dans l’évier du Moulin du Plain, permettaient d’établir une hiérarchie chez les pêcheurs et jamais au grand jamais dans ces années-là, une grosse truite n’était graciée ! Les clients n’avaient pas besoin de commissaires puisqu’ils devaient présenter leurs prises pour avoir droit aux félicitations des autres pêcheurs jaloux.


 Dans notre société de plus en plus urbaine, l’écrasante majorité des gens mangent du poisson, vendu en grandes surfaces, provenant d’animaux d’élevages ou de pêche industrielle, leur vie et leur mort laissant indifférents les consommateurs. La mort est devenue une chose que l’on ne regarde plus en face. Le no-kill des pêcheurs subit le même phénomène. Cette pratique permet d’éviter de se confronter à la mort, ce qui permet à l’activité pêche de coller à l’air du temps. Au départ, le no-kill n’était pas une façon de fuir la mort, mais un acte sportif au sens où la façon de prendre était plus importante que la quantité prise. Le no-kill était alors présenté comme un acte de désintéressement de la proie....


Mais si nous ne sommes plus des prédateurs sommes-nous encore des pêcheurs ?


 Mais si nous ne sommes plus des pêcheurs pourquoi continuer à aller à la pêche ?


 Pardonnez-moi mon père je vais à la pêche! Je suis un pêcheur devant l’éternel et j’y prends du plaisir ! 


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